Interviews

Diane Gastellu – Citizen Jazz – Juillet 2020

  • Ta formation à la fois marquée par un jazz de facture classique mais aussi ouverte vers des horizons plus expérimentaux (Lol Coxhill, Barre Phillips…) : comment ces tendances qui pourraient paraître antagonistes dialoguent-elles dans ta musique (entre deux solstices…) ?

Depuis toujours, une des particularités du jazz est son ouverture constante sur le monde. Fruit de la rencontre entre ses racines, venues tout droit du continent africain, et la musique populaire (ou liturgique) européenne, il n’a eu de cesse de se renouveler depuis plus d’un siècle. C’est ce qui en fait sa richesse. Que ce soit Getz avec la bossa nova, l’influence de musiques folkloriques les plus diverses chez Jan Garbarek ou encore des sonorités et des concepts de la M-Base chez Steve Coleman, tous ces apports ont en quelque sorte permis au jazz de s’enrichir et, par-delà, lui ont procuré un nouveau développement. Le jazz aurait certainement stagné sans ces métissages.

Pour ma part, étant très curieux de nature, je suis toujours partant pour de nouvelles rencontres. Mes diverses expériences plutôt orientées vers la musique improvisée en font partie. Avec Lol Coxhill, ce fut à l’occasion d’un concert one shot improvisé. Son écoute et son rapport au silence étaient remarquables.

Avec le contrebassiste Barre Phillips, nous avons mené un projet plus construit au sein d’un quartet mené par la pianiste Véronique Bizet. Nous nous sommes rencontrés lors d’un stage qui mêlait danse et musique improvisée et, à partir de ce vécu, nous avons mis sur pied un projet musical en quartet avec l’ajout du batteur Antoine Cirri. Le groupe a répété, la musique restait improvisée mais construite sur des thématiques prédéfinies, picturales, impressionnistes, parfois d’actualité comme la guerre du Kosovo qui sévissait à ce moment.

Between the two Solstices a été écrit, répété et enregistré entre les solstices d’été et d’hiver. D’où le titre de cet album arrangé pour septet et dans lequel on peut remarquer la combinaison surprenante saxophone, DJ, violon électrique.

  • La place que tient la musique de scène et de cinéma dans ton œuvre.

Outre la musique, je me suis intéressé de près à d’autres formes artistiques comme le théâtre, la danse ou le cinéma. Presque naturellement, j’ai eu envie d’apporter ma petite pierre à l’édifice en composant des musiques. Là, il ne s’agit pas de jazz mais bien de musiques adaptées à des contextes précis, en regard avec les images ou les propos qu’ils suscitent. Depuis le début de ma carrière, j’ai ainsi réalisé une soixantaine de musiques de scènes, soit sur bande-son ou parfois en live.

C’est moins évident pour le cinéma car, mis à part les grosses machines, les productions sont plus rares en Belgique. Il faut pouvoir entrer dans le milieu du cinéma qui à mes yeux, me semble assez fermé.

  • Le séjour en Afrique, qui semble avoir durablement marqué ton parcours musical au vu de tes collaborations encore récentes, notamment avec Baba Sissoko.

J’ai effectivement séjourné en Afrique à plusieurs reprises, notamment durant presque deux ans au Cameroun où j’ai eu l’occasion de travailler avec des musiciens du cru. On y pratiquait le makossa, une musique urbaine très populaire là-bas. Sans parler pour autant d’une immersion dans les racines du jazz, cela fait partie d’une expérience unique pour moi.

Quant à Baba Sissoko, il ne s’agit pas d’une association dont je suis à l’initiative. Ce projet est Mali Mali, mené par le pianiste, compositeur et chef d’orchestre Eloi Baudimont. Une centaine de choristes et musiciens furent réunis autour du percussionniste et griot Baba Sissoko. Nous avons fait quelques concerts en France et en Belgique avant de nous envoler, avec tout ce beau monde, vers le Mali pour une série de concerts à Bamako et à Ségou, sur les rives du fleuve Niger. Cela reste aujourd’hui une aventure humaine et musicale d’une grande richesse.

  • L’intérêt que tu manifestes pour le monde hispanique (Spanish Jazz Project et l’actuel projet sur Victor Jara).

Voici une dizaine d’années, j’ai rencontré la chanteuse belgo-andalouse Lisa Rosillo lors d’un stage d’ensemble. Comme beaucoup, elle souhaitait y travailler les standards du répertoire de jazz vocal. Elle avait une jolie voix, déjà toute teintée d’une réelle émotion. Au cours de cette rencontre, j’ai appris qu’elle était d’origine espagnole. Je lui ai alors suggéré l’idée de chanter en espagnol… N’étant pas sa langue d’origine, je crois qu’elle n’y avait jamais pensé.

Quelques temps plus tard, nous nous sommes recontactés et avons mis sur pied Spanish Jazz Project, consistant à jazzifier des mélodies provenant du répertoire hispanique ou, à l’inverse, d’hispaniser des standards du jazz. Nous avons tourné avec ce quintet durant 5 ou 6 ans. Un album en témoigne.

Déjà dans Spanish Jazz Project, nous avions fait des incursions dans des musiques politico-engagées comme Hasta Siempre Comandante Che Guevara ou El Quinto Regimiento, hymne antifasciste chanté durant la Guerre d’Espagne.

Aujourd’hui, nous poursuivons dans cette voie en rendant hommage au chanteur et poète Victor Jara, lâchement assassiné par les milices de Pinochet lors du coup d’état de 1973 au Chili. Nous venons de terminer l’enregistrement d’un album qui paraîtra fin 2020. Le pianiste Alain Rochette en a assuré les arrangements.

  • Ta conception de l’engagement du musicien et ton rôle de pédagogue, que je retrouve également à travers ta page facebook et ta newsletter dont Jacques m’a communiqué quelques numéros. 

La musique de jazz, l’improvisation, est, à mon sens, difficile à transmettre. C’est une musique dont les principes, parfois inexprimables, nécessitent une certaine démarche de curiosité…

Bien entendu, on peut aisément transmettre les bases théoriques, une méthode de travail, des pistes, des indications diverses, mais il faut quand même avouer que l’essentiel de cette musique, ce qu’il conviendrait peut-être d’appeler swing ou feeling, reste mystérieux.

Ma passion pour le jazz a débuté à l’âge de 16 ans. Je lui suis fidèle depuis lors. Ce que j’apprécie le plus, c’est de partager cet attachement. J’essaye de transmettre cela dans ma démarche, notamment dans mes cours d’ensemble. Susciter l’intérêt, l’envie de découvrir cette musique, parfois par une approche anecdotique, m’est familier. Partir du potentiel de chacun, quel que soit son niveau, et l’aider à progresser musicalement, notamment par le biais de l’improvisation, est quelque chose qui m’est cher. Et le résultat obtenu est souvent surprenant !

  • Ta vision du jazz en Belgique et des musiciens belges en Europe et ailleurs.

Heureusement (ou malheureusement ?), nous vivons un siècle où la surproduction est de mise. Le jazz vivant avec son temps, il n’y a aucune raison pour que son évolution soit hors norme. Il y a une quantité impressionnante d’écoles qui enseigne le jazz. Chaque année qui passe voit naître, ici et partout dans le monde, un nombre incalculable de jeunes musiciens mettant en place de nouveaux projets. Ils sont souvent des plus talentueux.  Au fil des ans, cette abondance de musiciens, favorisée par une démesure de moyens de communication, provoque une dynamique créative sans précédent. Et c’est tant mieux !

Aujourd’hui, suite à la crise sanitaire que nous traversons, tout est à l’arrêt ou presque. Espérons qu’au lendemain de cette période léthargique, le jazz se portera à nouveau bien. C’est tout ce que je souhaite pour l’avenir à cette belle musique. Puisse-t-elle être toujours synonyme d’espoir, d’audace et de liberté. Nous avons encore un sacré bout de chemin à faire ensemble…

Pierre Dulieu – Dragon Jazz – Février 2014

  • DragonJazz: Ceci est une mini-interview. On va donc se consacrer uniquement à cet album. Qui est Lisa Rosillo ? Et comment avez-vous constitué ce projet ?
    Michel Mainil: J’ai rencontré Lisa Rosillo lors d’un stage de jazz que j’animais. J’ai très vite été séduit par sa voix et par sa musicalité. Elle est d’origine andalouse et çà s’entend d’emblée. Elle dégage une force que l’on retrouve chez les chanteurs de flamenco. Je trouve que cette approche est tout aussi présente dans le blues. Le trompettiste Richard Rousselet fait souvent allusion à la romancière Gertrude Stein qui définissait le jazz comme de la tendresse jointe à une grande violence. Il y a un peu de cela chez Lisa Rosillo.
  • DJ: Le répertoire du disque est particulièrement bien pensé. Qui a exhumé et choisi ces chansons dont certaines sont très anciennes ?
    MM: Chacun a amené des idées. L’objectif était de mettre sur pied un groupe résolument tourné sur la culture et la tradition hispanique. J’avais aussi quelques pistes mais j’ai laissé le projet ouvert, permettant ainsi à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice. Par exemple, pour El Quinto Regimiento, j’avais le souvenir du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden qui avait intégré en arrière-plan ce chant de la Guerre d’Espagne dans un morceau. Aussi le fameux Hasta Siempre…. Lors d’un voyage à Cuba, j’avais été patticulièrement impressionné par le fait d’entendre ce morceau littéralement « à tous les coins de rues ». Cette chanson rendant hommage à Che Guevara prenait une toute autre dimension sur place. Elle dépassait même le côté politique et résonnait magnifiquement dans la voix et le cœur des cubains. Lisa Rosillo est une fan du cinéaste Pedro Almodovar. Elle a amené des chansons issues de ses films, donnant ainsi une autre orientation au répertoire. Après avoir joué une année, nous avons décidé de réaliser un album.
  • DJ: Le Spanish Jazz Project marque un changement de formule (jazz vocal) et de thématique (jazz latin) par rapport au style de vos disques précédents. Pourquoi un tel choix et comment l’avez-vous vécu ?
    MM: Ce quartet a aujourd’hui presque 15 ans d’existence. Au cours de ces nombreuses années, nous avons essayé de nous remettre régulièrement en question. Parmi nos nombreuses expériences, certaines étaient assez « inattendues ». Je pense notamment au conte musical « Pierre et le Loup » de Prokofiev que nous avons réécrit pour les besoins d’un spectacle. C’est dire que nous nous sommes peu à peu rôdés à toute sorte d’entreprises. « Spanish Jazz Project » n’est donc pas un changement mais plutôt une étape. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que nous travaillons avec un chanteur ou une chanteuse.
    En ce qui me concerne, côté instrumental, j’ai opté pour l’utilisation du saxophone baryton. C’est la première fois que j’enregistre avec cet instrument. Le son plus rauque de l’instrument se marie bien avec la voix, somme toute assez grave, de Lisa Rosillo.
  • DJ: Quelle a été l’implication des autres musiciens du quartet dans ce projet ?
    MM: Le choix du répertoire étant décidé, nous avons travaillé collectivement sur les arrangements. Comme il y a quand même quelques morceaux « bateaux », il était important d’essayer de les rafraîchir en les revisitant à notre sauce. A ce sujet, nous allons élargir le répertoire pour les prochains concerts. Il y aura une partie des morceaux de l’album augmentés de nouveaux titres provenant également du répertoire hispanique. Nous allons vivre une résidence de plusieurs jours en mars prochain sous le regard complice d’un metteur en scène. A suivre donc…
  • DJ: Combien de prises ont été faites en moyenne pour un morceau ?
    MM: En général deux ou trois prises ont suffit. Il faut préciser que nous avions répété et donné quelques concerts avant la session. Nous étions donc prêts pour l’enregistrement.
  • DJ: La performance instrumentale a conservé une importance relative par rapport au chant. Quelle fut la part d’improvisation ?
    MM: J’ai souhaité que cela reste du jazz. Je ne voulais pas en faire un album essentiellement de chant, fût-il en espagnol… Bien qu’à mon sens, cette langue est l’une des plus chantantes qu’il soit. Dès lors, l’improvisation a toute sa place, comme dans toute la musique de jazz.
  • DJ: Où le disque a-t-il été enregistré et qui l’a produit ? En êtes-vous satisfait ?
    MM: Il a été enregistré à La Louvière dans une salle de spectacle qui a été équipée en condition studio pour l’occasion. Cela grâce à l’appui de l’asbl ARAM. Michel Andina, connu pour être l’ingénieur son de groupes tels Octurn ou Aka Moon l’a ensuite mastérisé. La réalisation de la pochette a été confiée à un superbe tandem qui sont Denis Devaux pour le graphisme et Dati Bendo pour les photos. Je n’ai pas eu besoin du soutien des pouvoirs publics pour cette publication car nous avons bénéficié de l’aide d’un partenaire privé qui est intervenu dans des conditions proches du mécénat. C’est assez rare pour être souligné !
  • DJ: Ce projet est-il un “one shot” ou la collaboration avec Lisa Rosillo va-t-elle se poursuivre dans le futur et donner lieu à de nouveaux disques ?
    MM: Comme je le disais, ce groupe existait. Ce n’est donc pas un one-shot. Des concerts sont prévus dans les mois à venir. C’est le premier album de Lisa Rosillo. Les musiciens et moi sommes assez fiers de faire partie de sa première aventure discographique. Pas de nouveau disque à l’ordre du jour mais Quien sabe…

Etienne Payen – Les Lundis d’Hortense – Hiver 2011

  • 1/ Nous nous connaissons depuis notre adolescence. Pourtant, le Michel Mainil 2011 a quelque chose de changé. Mais qu’y a t il de nouveau? Amour, lieu de vie, endroit de travail, autre vison de la vie ? Donne-moi ton secret? 

Peut-être tout simplement la « middle life crisis » qui m’est bénéfique… Non, plus 
sérieusement,  je crois que tout est une question d’expérience, de mûrissement, de travail intérieur et extérieur. J’ai l’impression d’être moins dispersé aujourd’hui que jadis. J’ai plus de facilités à me concentrer sur un projet et le mener jusqu’au bout.  

  • 2/ En dehors de ton métier de musicien, nous savons que tu es impliqué dans un  tas d’organismes et de directions. Peux-tu nous en “refaire  le catalogue”? 

Surtout pas de direction ! Je n’ai pas  l’âme d’un directeur. Je suis effectivement impliqué 
dans le monde culturel où je m’occupe principalement de création et de diffusion théâtrale. Curieux de nature, je me suis intéressé au Théâtre depuis de longues années. Cela  donne une autre ouverture sur les choses. J’ai vécu uniquement de musique dans le début des années 80. C’était tentant de continuer mais cela me laissait quelque part  un manque. J’ai été honoré que l’on me propose de rejoindre l’équipe d’un centre culturel dynamique, celui de La Louvière pour ne pas le citer. C’est très prenant mais valorisant. Je faisais allusion au théâtre mais ce travail m’a permis de découvrir d’autres disciplines tout aussi enrichissantes. La danse, le cirque actuel et les arts contemporains en font partie. 

  • 3/  Peux- tu nous expliquer la genèse de ton dernier album et  la rupture avec            le précédent ? 

L’idée de faire un album live me trottait depuis longtemps. J’ai passé beaucoup de temps  en studio à faire et refaire des versions des mêmes morceaux pour finalement revenir à la première prise. J’avais envie de tenter l’expérience du live. C’est une autre façon de  travailler et j’en suis particulièrement satisfait.  Par rapport à mon second album                « Between the two Solstices », je ne crois pas qu’il  s’agisse d’une rupture en tant que telle. Dans « Between… », j’avais envie de tester des sonorités moins traditionnelles. Nous y avons adjoints l’apport du violon électrique de Cécile Broché, des percussions du magicien Chris Joris et des scratches et différents effets de DJ Landzar. J’en suis très content. C’était une nouvelle aventure tout aussi enrichissante. DJ Landzar, par exemple, est un musicien très ouvert. Il prépare ses mixes avec des anciens vinyles Blue Note. Il écoute des musiques actuelles mais ne délaisse pas la tradition pour autant, même s’il est d’une génération différente. Nous jouons régulièrement ensemble  dans d’autres projets et il me fait découvrir des nouvelles choses à chaque fois. C’est le  genre de rencontre heureuse que j’apprécie. 

  • 4/ Comment t’es tu retrouvé à enregistrer au Music Village? 

Très simple. J’ai présenté le projet à Paul Huygens qui a tout de suite accepté. Il m’a  proposé de jouer une semaine dans le club durant l’été. Nous avons enregistré toutes les soirées et nous avons ensuite fait le tri. L’ambiance du Music Village était tout à fait propice à l’esprit du live. C’est un club qui draine un large public dont la majorité est amateur de jazz. Cela se sent dans la musique ! 

  • 5/ Quels sont les différences pour un musicien entre un cd live et en studio. Est ce plus facile ou difficile? 

Les options sont différentes. Ce n’est pas une question de facilité ou de difficulté.  En studio, on peut plus peaufiner, la qualité du son est moins brute. En live, on est plus en partage avec le public, il y a plus de spontanéité. Mais si la sauce ne prend pas, on ne sait pas recommencer. C’est un risque qu’il faut pouvoir assumer. 

  • 6/ Que représente le jazz pour toi? 

Une grande partie de ma vie. Sans la découverte du jazz durant mon adolescence, je  n’aurais pas fait de musique. Dans les années 70, j’ai délaissé peu à peu Pink Floyd et Deep Purple pour Coltrane, Miles Davis et Duke Ellington.  J’ai eu ce que l’on pourrait appeler un flash avec cette musique. Le jazz ne m’a pas quitté depuis ce temps. Aujourd’hui, j’écoute pourtant d’autres musiques également : Bartok, Kurt Weill, Gorecki, Björk, Erik Satie, Benabar et bien d’autres… dont Pink Floyd ! 

  • 7/  Sans faire de modestie , comment vois tu ta carrière ? 

Je n’ai jamais fait de plans de carrières en tant que tel… Je prends les choses quand   elles se présentent. Je ne me sens pas « vieux ». J’ai envie de pouvoir faire encore     plein de choses. J’écris pas mal de compositions, surtout pour le théâtre où il m’arrive de réaliser des musiques de scène. C’est sans doute vers cette démarche que je me dirigerai  principalement plus tard. 

  • 8/ Un souvenir extraordinaire de celle ci? 

Une tournée au Mali en 2009 avec Baba Sissoko et le groupe « Mali Mali ». C’était un 
moment exceptionnel, des souvenirs qui resteront gravés à jamais dans nos mémoires.  J’avais déjà eu l’occasion de jouer en Afrique auparavant, notamment au Cameroun, mais là, c’était tout simplement magique ! 

  • 9/ Un “regret “ de celle ci?

Lorsque j’ai commencé à jouer du jazz, il n’y avait guère de possibilités de l’étudier en Belgique. J’ai fait le Séminaire de Jazz du Conservatoire de Liège mais c’était assez  embryonnaire par rapport aux différentes écoles qui enseignent le jazz aujourd’hui.  J’aurais voulu avoir la possibilité de l’étudier plus sérieusement dès le début de ma carrière. Mais issu d’une famille modeste, je n’en ai pas eu la possibilité. Enfin, je ne me plains pas, les regrets sont inutiles. J’ai pu faire d’autres choses.  

  • 10/  Jouons au visionnaire. comment vois-tu le jazz dans l’avenir. Est-il populaire auprès des jeunes?  

J’anime des stages d’ensemble de jazz depuis plusieurs années et force m’est de  constater que cette musique intéresse de plus en plus de jeunes. Et c’est tant mieux ! Je ne crois pas que le jazz va s’arrêter. Il va évoluer. Il sait s’ouvrir à toutes les influences et a su se métisser depuis le début. Le critique Hugues Panassié prônait déjà la fin du jazz en 1940. D’autres ont prédit que le rock ‘n roll allait définitivement détruire le jazz. Or il est toujours là, bon pied bon œil, se nourrissant de toutes les influences au lieu de les écarter. 

  • 11/ Le jazz classique comme le bop a t’il encore une place? 

Le bop a tout autant sa place que le New Orleans, la Fusion ou la M-Base. Je ne crois pas qu’il faille mettre trop d’étiquettes sur les styles musicaux. Chaque style est un maillon important dans la chaîne évolutive de la musique. Peut- on dire que Mozart n’a plus sa place dans la musique classique ? Que Fellini ou Bunuel ne doivent plus être regardés ou que les étages du Louvre dédiés à la peinture classique doivent fermer ? 

Personnellement, je crois que tout est dans tout et que l’on doit s’inspirer de toute chose  en fonction de ses affinités. Partons du principe que nous contribuons à l’évolution.  Chacun de nous, en fonction de nos possibilités, grandes ou petites. Croyez-moi, si vous 
pensez à cela, fût-ce de temps à autre, çà aide à se lever de bonne humeur le matin ! 

  • 12/ Parles moi des autres membres de ton quartet? Quels sont tes rapports avec eux? 

C’est une aventure qui remonte à 13 ans. Nous avons appris à nous connaitre musicalement et humainement. Nous sommes cependant restés très libres, chacun développant également d’autres projets. Le quartet n’est pas figé. Il nous arrive parfois de l’agrandir. Nous avons ainsi régulièrement des invités. Jean-Paul Danhier, Richard Rousselet font partie de ces guest. Nous avons déjà accompagné des chanteuses comme Sanja Maas, Julie Dumilieu ou la regrettée Anca Parghel. 

Avec tout ou une partie du quartet, nous avons déjà mené d’autres projets, par exemple un hommage au chanteur Jean-Roger Caussimon avec le comédien Jean-Claude Derudder ou le groupe Dolce Vita avec lequel nous jouons des musiques de film. Nous avons même revisité « Pierre et le Loup » de Serge Prokofiev pour les besoins d’un spectacle. C’est dire que notre complicité est grande et que nous sommes ouverts à tout. 

13/ Quels sont tes projets musicaux ? 

Je continue à tourner principalement avec le quartet. Pour les mois qui viennent j’ai le  projet d’y adjoindre une jeune chanteuse qui réécrira en espagnol des textes originellement prévus en anglais. Esperar y ver… 

  • 14/ Si tu pouvais m’emmener rencontrer quelqu’un, chez qui m’emmènerais tu? 

Le contrebassiste Barre Phillips. Pour sa sagesse, son écoute, sa curiosité, sa  clairvoyance musicale, son humanité et la manière dont il traduit tout cela dans sa musique. Barre Phillips a toujours été hors des sentiers battus. Il a joué avec Paul Bley, Chick Corea, John Surman et nombre de musiciens du label ECM. Il aurait pu faire toute sa carrière dans cette maison mais dès qu’on le croit bien « installé », il surprend en prenant d’autres directions. Ainsi on le retrouve explorant des domaines très divers dont la rencontre entre le mouvement et la musique, la peinture et l’improvisation, etc… C’est quelqu’un à connaître. Avec la pianiste  Véronique Bizet et Antoine Cirri, nous avons joué ensemble voici une dizaine d’années.Cela fait aussi partie des bons moments de ce métier…

  • 15/ Si tu pouvais me conseiller un album ou un musicien actuel, quel nom me donnerais tu ? Un jeune à suivre? 

Le pianiste Igor Gehenot. Du haut de ses 25 ans, il a déjà acquit un bagage  impressionnant de technique et surtout de musicalité. C’est un musicien à suivre.

  • 16/ Y a t il un album qui  revient régulièrement sur la platine? 

Les albums des années soixante de Miles Davis avec Coltrane et Wayne Shorter.  Aussi Ralph Moore que j’écoute beaucoup ainsi que Gary Thomas et Michael Brecker pour qui j’ai une admiration inconditionnelle. 

  • 17/ Ta dernière lecture? 

Je viens de terminer une fausse autobiographie de John Lennon écrite par David  Foenkinos. Mais le livre qui m’a le plus bouleversé ces dernières années est sans nul doute « Les Bienveillantes » de Jonathan Littel. Comment l’Homme peut-il en arriver là, c’est-à-dire imaginer, organiser et orchestrer l’anéantissement d’un peuple. J’essaye de comprendre cela depuis 40 ans sans y parvenir. 

  • 18/ Composes tu facilement ? Par quoi es tu inspiré? 

Je compose plus ou moins facilement mais j’ai besoin d’une « commande ». Cela  peut être pour les besoins d’un disque ou d’une musique de scène. 

  • 19/ Question traditionnelle de fin d’interview, que ferais tu si je te donnais une baguette magique qui ne fonctionnerait qu’une seule fois ? 

Ah, cela me fait penser au merveilleux ouvrage de la Baronne Pannonica de  Koenigswarter « Les musiciens de jazz et leurs trois vœux » (encore une de mes dernières lectures). Cette fameuse mécène a demandé à une pléthore de jazzmen de faire trois vœux Les réponses tournent souvent autour de l’argent, du bonheur, de la santé, de « LA» femme à rencontrer, de maîtriser parfaitement leur instrument, etc… 

Pour ma part, gageons qu’une fois pour toute, nous puissions faire quelque chose de 
magnifique et d’éblouissant de tous les vœux que nous échangeons. Ce serait déjà bien…

Magazine “Liens !” à propos du CD “Between the Two Solstices”                              Vincent Dierickx – Mai 2006

Mené par le saxophoniste Michel Mainil, Enter Project réunit, autour d’un quartet de jazzmen, des musiciens issus d’univers sonores à priori éloignés du swing et du be-bop : musiques du monde, percussions, violon électrique, avant-garde et DJ composent l’album issu de cette nouvelle collaboration originale : Between the two solstices. Rencontre avec Michel Mainil, leader du projet.

Ton parcours de musicien, c’est du conservatoire au jazz ?

J’ai fait le Conservatoire de La Louvière, le cycle habituel. Par la suite, je me suis inscrit au Conservatoire de Liège, dans ce qu’on appelait alors le Séminaire de jazz de Liège. C’est Henri Pousseur qui avait mis ces cours sur pied, en précurseur. Aujourd’hui, le jazz est devenu une musique à part entière, sérieuse sans se prendre toutefois trop au sérieux. Si on ne connaît pas les règles de la musique, on stagne. Comme dans toutes les musiques.

Si j’ai voulu apprendre la musique et pratiquer un instrument, c’est par le jazz. Adolescent, j’écoutais Pink Floyd, Deep Purple et les Rolling Stones. Mon oncle avait un orchestre de variété ; un des musicien, Jean Spinato, était jazzman ; il m’a fait découvrir Duke Ellington, Miles Davis, Art Blakey. Je me souviens de quelques razzias à la médiathèque, au hasard dans le rayon jazz. Si je n’avais pas découvert le jazz, je ne serais pas musicien. Le jazz est une musique d’ouverture. Le jazz peut tout avaler.

L’album Between the two solstices et le projet Enter Project sortent du jazz dans lequel on a l’habitude de t’entendre. Et pourtant, la base est la même…

On a travaillé tous ensemble, construit des arrangements pour chacune des compositions (toutes originales) pour avoir une unité dans le ton. La particularité du projet est du côté de la rencontre entre des gens venant d’univers musicaux différents. . Cécile Broché, qui joue du violon électrique, sonne quelquefois comme Jimmy Hendrix… Pourtant, elle vient du classique, c’est une musicienne très ouverte. Ensuite, il y a DJ Landzar. Je l’ai rencontré dans une jam et j’ai vraiment été séduit par son groove. Cela apportait une nouvelle dynamique à la musique. Et Chris Joris, véritable maître de la percussion. Très connu en Europe, on l’associe aussi bien à la world music qu’au jazz. Les autres sont les musiciens de mon premier album : Alain Rochette, José Bedeur et Antoine Cirri. Avec ces trois-là, on joue en quartet depuis plus de dix ans. De quoi fabriquer une vraie complicité. Ils sont l’ossature de mon groupe. Pour le son, j’ai pu bénéficier de l’expérience fabuleuse de Michel Andina – en Belgique, c’est un des meilleurs ingénieurs du son. Avec l’équipe d’Aram, il a travaillé sur la prise de son, le mixage et le mastering. Ca donne vraiment un son superbe. Igloo a ensuite pris le relais et assure la fabrication, la distribution, la promotion, bref, c’est un projet bien soutenu.

Intégrer un DJ, qui s’appuie sur du matériel sonore « tout fait », à un groupe de jazz, qui par définition fait beaucoup d’impro, ça semble incongru…

Le matériel n’est pas « tout fait ». Le DJ compose ses propres effets, musicaux ou rythmiques, il les enregistre et les balance dans la musique en scratchant. I faut beaucoup de dextérité et d’oreille. Je le considère comme un musicien à part entière. Je lui donne une conduite et il me fait des propositions. Il joue en direct, rien n’est figé. Il travaille comme tous les musiciens qui font de l’impro, avec une part de risque et dans l’éphémère. Peut-être est-ce cela le bonheur…                                                              J’avais vu Aka Moon, voici quelques années, avec DJ Grazz Hoppa. J’avais adoré mais je n’avais pas bien saisi le principe. Ce n’est qu’en travaillant avec DJ Landzar que j’ai compris comment on pouvait faire fonctionner ces deux approches de la musique.